Rémi Thivel
Guide de haute montagne
Photographie
Traversée à vélo des Monts Sarawat en Arabie Saoudite, janvier 2023
J'ai pris l'habitude depuis quelques années de voyager en vélo tout ou partie de l'hiver. Pour 2023, je ne savais pas trop où partir et c'est finalement un peu au dernier moment que j'ai choisi l'Arabie Saoudite, pour traverser le pays du nord au sud par les Monts Sarawat qui se trouvent le long de la Mer Rouge. J'ai ainsi parcouru 2700 km entre Amman en Jordanie et Abha près de la frontière du Yémen, ce qui m'a occupé un mois. L'Arabie n'a ouvert au tourisme qu'en 2019 et je n'ai pas trouvé grand chose sur des voyages en vélo dans ce coin du globe. C'est ce qui m'a attiré, en plus du fait que l'Islam est une religion qui m'intéresse et que j'aime le Moyen-Orient. J'ai raconté ce voyage au jour le jour sur mon blog Arabike.
Comment résumer cette expérience en quelques lignes ? J'ai rencontré un pays idéal pour l'itinérance en vélo : de beaux paysages, des oueds magnifiques qui serpentent à l'infiini entre les montagnes, des gens particulièrement accueillants (je ne compte plus les invitations à manger ou dormir, les fois où on a payé mes courses, où on m'a donné de l'argent, où on m'arrêtait pour me filmer, me prendre en photo, m'offrir de l'eau ou à manger), une logistique facile avec la possibilité de bivouaquer n'importe où sous un acacia à l'écart de la route, des épiceries régulièrement et même des citernes d'eau filtrées très fréquentes tout au long du chemin, ainsi que des températures idéales en janvier. Aussi, et ce n'est pas un détail, des routes très sûres qui, grâce à une bande d'arrêt d'urgence quasi-permanente, permettent de rouler à l'écart du flux des voitures.
Malgré tous ces avantages, j'ai pu constaté (mais ce n'est que mon expérience) que le pays ne me semble pas prêt à accueillir des voyageurs souhaitant aller et venir librement par leurs propres moyens. Tout est prêt pour un tourisme de masse, de luxe de préférence, bien organisé et surtout bien canalisé. Il faut croire qu'avec mon vélo et ma façon d'aller à ma guise, au contact des populations, j'ai sérieusement inquiété les autorités puisque j'ai presque tout le temps été suivi par des voitures banalisées plus ou moins discrètes. Un certain nombre de fois j'ai été invité sur l'air des lampions par des gens qui se disaient ingénieurs, professeurs, instituteurs, fort sympathiques au demeurant, mais qui en fait étaient des policiers en civil. En observant, je me suis rendu compte que tout le monde surveille tout le monde dans ce pays, tranquillement et avec le sourire. Sur la fin, entre La Mecque et Abha, ce qui m'était présenté comme de la protection est devenu un véritable harcèlement : j'étais suivi 24h/24h par des civils en voitures banalisées qui se relayaient, sous les ordres de la police officielle, essayant de se faire discrets tout en me collant toute la journée et me mettant régulièrement en danger par rapport au trafic routier ainsi qu’en état de stress au-travers d’actions sournoises (comme me proposer de la drogue, quelque chose qui n'arrive jamais dans ce pays au vu des peines encourues). Parvenu à Abha, ma destination finale, avec 10 jours d'avance, je comptais faire une boucle encore plus au sud mais face à ce harcèlement (on m'a suivi jusqu’à la porte de mon avion), j’ai fini par racheter un billet et suis rentré prématurément, ce qui était, à mon avis, l'objectif à atteindre pour les autorités de cette région.
Malgré cela, je garde un excellent souvenir de cette traversée car toutes les expériences sont bonnes à vivre, y compris celle de voyager dans ce qui reste, malgré tous les efforts déployés pour en améliorer l'image à l'international, une dictature coranique dure, s'appliquant méthodiquement à maintenir les gens dans l'ignorance, l'endoctrinement religieux et l'absence d'esprit critique... en tout cas dans les campagnes profondes que j'ai traversé. Un avis qui n’engage que moi. L'absence de lieux pour faire du lien social, d'art, de musique et de culture m'ont frappé dès que je suis entré dans le pays et malgré tout le plaisir que j'éprouvais à rouler, un mot occupait en permanence mon esprit : obscurantisme.